Fac-similé, de Zumbo à 食品サンプル

Un article d'Élisa Laï
Master II, Sciences et cultures du visuel – université Lille 3

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1/ Lisa Hsied, Architecture and Macaroni: Digesting knowledge through ingesting food, Cambridge university Press, 2016.

 

2/ Hélène Palouzié et Caroline Ducourau, De la collection Fontana à la collection Spitzner, l’aventure des cires anatomiques de Paris à Montpellier, in Patrimoines de la santé : essais de définition - enjeux de conservation, In Situ. Revue des patrimoines n° 31, 2017.

 

3/ Camille Oger, article du blog LE MANGER, Sampuru le manger en plastique.

Les cires furent utilisées dès l’Antiquité où elles étaient prisées pour leur aspect pratique (elles étaient peu coûteuses, polyvalentes, modelables). Cet usage fut d’abord religieux (masques funéraires, memento mori) et à partir de la fin du Moyen Âge, il s’élargit aux métiers artistiques et à l'artisanat (orfèvrerie, sculpture) La possibilité unique de rendre fidèlement un objet tridimensionnel ouvre les limites de l’expression plastique, et l’abbé Gaetano Giulio Zumbo (1656 – 1701) l’inventeur de la céroplastie anatomique, c’est-à-dire la reproduction en cire de l’anatomie humaine, fournit pour la première ces fameux modèles didactiques en trois dimensions. Ces cires destinées à l’instruction sont aussi de par leur esthétique des œuvres d’art, dont l’attrait porte sur la perfection du double, du fac-similé. Ces cires sont génériques, et n’ont pas vocation de rendre l'individualité d’un sujet, mais un type-modèle qui présente en définitive un naturalisme emprunt d’idéalisation. Longtemps limitées à l’espace des cabinets de curiosités ou de sciences naturelles, ces cires ont ensuite envahi l’espace forain au XIXe siècle. Peu à peu, elles ont quitté les domaines les plus confinés et sont devenues accessibles à un large nombre de curieux, un public avide d’images.

On peut faire un lien, certes convenu, mais pertinent, avec les Sampuru ces « répliques », ou échantillon, de nourriture japonaise. Leur origine est presque centenaire au Japon, et leur production industrielle a commencé véritablement en 1917 avec l’arrivée de la cuisine occidentale, quand l’entrepreneur Takizo Iwasaki a réalisé les premiers sampuru en cire, avant que le plastique ne s’impose. Inspirées de cires de fruits et légumes utilisées dans les classes de nutrition à l’école, ces répliques ont la même visée : un rendu illusionniste de la matière, qui, à la différence des cires anatomiques, doit apparaître comme délicieusement attrayante. Transposant le perfectionnisme japonais, les sampuru sont extrêmement détaillés, et impressionnants de réalisme, allant jusqu’à rendre les imperfections réelles des modèles naturels, comme les tendons dans la viande, ou bien l’apparence d’une banane presque trop mûre. L’appréciation visuelle est essentielle dans l’expérience culinaire au Japon, et posséder cet échantillon permet d’anticiper le goût, ou même les odeurs. Dans cette quête d’authenticité, les méthodes de production s’apparentent à celles de la vraie cuisine, avec les mêmes outils (couteaux, casserole de liquide bouillant) intégrés aux gestes et pratiques de sculpteurs et d’artistes peintres (pinceaux, moules).

La relation avec la matière est centrale, afin de reproduire le modelé de la nature, les jeux de transparence, de texture, chaque feuille de salade étant ainsi réalisée avec attention par des mains de maîtres. Cependant, l’idéalisation n’est pas absente de ces répliques ; l’objet final doit être beau et donner envie, envie d’acheter et de consommer. Les échantillons vont même dépasser les limites physiques de l’original : une boule de glace parfaite qui ne fond jamais, un bol de soupe aux nouilles volantes. De plus, faisant l’objet d’une véritable industrie, brassant des sommes considérables de Yen (environ 85 millions d’euros), auprès des professionnels de la restauration dont les vitrines débordent de ces plats-pvc-résineux, et auprès des touristes souhaitant rapporter de leur séjour un souvenir gustatif original non consommable. Le sampuru s’extrait de son univers artisanal, authentique et unique, pour devenir un produit manufacturé dont le résultat s'extrait du moule pour devenir un sushi idyllique, une nouille surnaturelle, un haricot chimérique. Les sampuru, tout comme les cires anatomiques, ont une visée didactique essentielle : ici plus de mauvaise surprise dans l’assiette, on sait ce que l’on commande, et tous deux entretiennent avec le réel des rapports étroits et mystérieux.

Bien que les cires appartiennent au passé, vieillissent mal, et doivent être conservées avec grand soin dans des instituts de conservation spécialisés, nos modèles, qui prolongent cet héritage, sont promis à un bel avenir. Les sampuru se diffusent, et sont de plus en plus utilisés hors du secteur de la restauration, notamment dans les musées (animaux empaillés, baleines grandeur nature) et produits ludiques et utilitaires divers comme des magnets, bijoux de portable, ou porte-clefs.