Jeanne_Leclerc
L'oeil du spectateur
Suivant le flot touristique, il était inévitable d’arriver ici. Devant la Cappelle Medicee, deux jeunes femmes nous interpellent pour une photographie, future preuve de leur visite dans la vieille ville. Les déclics des appareils photo sont innombrables, le quartier regorge davantage de touristes que de Florentins. Comme tout un chacun, je lève le nez pour mieux regarder l’architecture qui me surplombe.
Lentille de verre, la caméra renvoie mon regard ; la foule qu’elle observe en contrebas, à l’entrée de la Cappelle, s’allonge jusqu’au centre de la place. Petite machine technologique, elle tranche avec l’ancienneté des murs qu’elle surveille.
Tout au long de ma visite à Florence, mon œil ne peut s’empêcher de rechercher sur chaque place et à chaque entrée ces petites boîtes noires, omniprésentes et pourtant si rarement remarquées.
Cacher pour mieux interpeller
Une de mes connaissances me le disait souvent : avoir de grands monuments est un cadeau empoisonné pour une ville. Constatation rude, un peu généralisante mais souvent juste. Florence, on ne nous le dira jamais assez, est reconnue mondialement pour son patrimoine culturel et architectural. Cette image de ville lumière est entretenue par la restauration constante de ce patrimoine. Florence est une ville en constante rénovation.
Il est amusant alors d’observer des différences dans la façon de masquer les travaux de ses lieux touristiques. Le musée Gucci et le Palazzo Vecchio, proches l’un de l’autre, s’opposent dans le processus pour finalement se rejoindre sur le résultat : détourner l’attention.
Le premier présente sur sa façade un large paravent opaque décoré de motifs végétaux, graphiques et colorés, tranchant ainsi avec l’architecture générale de la vieille ville. Attirant l’œil, certains passants se prennent en photo devant cet élément devenu décoratif, mais aussi publicitaire.
Le musée du Palazzo Vecchio présente lui aussi sur sa façade et dans son enceinte des travaux, donc des bâches. Ces dernières usent d’un système différent en proposant une reproduction exacte du lieu actuellement en rénovation, permettant ainsi au visiteur d’avoir un aperçu de ce qu’il ne peut voir. Au contraire du musée Gucci, qui cherche à trancher avec son environnement, le Palazzo Vecchio choisit la discrétion en voulant fondre son installation dans le décor. Il est pourtant étonnant de constater que cette dernière n’est ici pas complètement opaque et permet aux curieux qui s’en approchent de voir au travers... Difficile de savoir si ce détail est bien volontaire.
À contre sens
La notion d’œuvre à Florence est différente de celle que j’ai connue jusqu’à présent. Je ne saurais dire ce qui m’a le plus surpris : constater qu’une fresque ancienne dans un quartier peu fréquenté de Florence ne montre aucune marque de dégradation, tandis qu’au musée, la dégradation volontaire est ici (au musée du Palazzo Vecchio) bien présente.
Peut-être mon impression est-elle mal fondée mais la fréquentation plus importante dudit lieu ne me paraît être une raison suffisante.
Cette constatation se base sur des peintures murales présentes dans la sala di Leone X. Ces peintures sont certes peu mises en valeur, plutôt mal placées, peu encadrées et donc rarement le centre de l’attention. Cependant, cette dégradation reste pour moi un mystère. Est-ce simplement leur emplacement qui joue en leur défaveur ? Pourtant, bien d’autres se trouvent dans la même situation.
Les observant sous un angle différent, je scrute le soleil qui les éclaire et fait ressortir bosselages et pierres entaillées. Quelle que fût la morale, je me surprends alors à trouver ces peintures plus intéressantes ainsi.
L’art de l’ironie
Il suffit de s’engager dans une rue au hasard, à proximité des grandes places, pour constater que l’art contemporain, au premier abord difficilement intégré à l’environnement florentin, s’invite officieusement en tout lieu. L’art urbain, pendant de l’art classique, est omniprésent à Florence et révèle un autre aspect de la ville, plus dynamique, moins muséal, que viennent nourrir ponctuellement les détournements de panneaux de Clet Abraham.
La photographie de gauche, prise au détour d’un quartier commerçant, présente la figure du David qui, dans les rues, a perdu son rôle d’œuvre pour devenir symbole de la ville, au final rectifié en mascotte grotesque mille fois dupliquée.
L’art urbain s’oppose ici à l’art institutionnel, en ne recherchant pas une esthétique, mais plutôt une provocation morale. Par ce détournement, le pochoir du David ne présente plus un canon de beauté mais une question sociale, voire politique. Il ne fait que souligner ce que l’observateur constatera par lui-même lors de sa visite à Florence. L’art est (ou plutôt peut être) un commerce comme un autre.
Sécurité dans ta ville
Des centaines de kilomètres séparent Florence de Strasbourg, mais le parallèle est là, le constat toujours le même : la place de la cathédrale et son monument, des militaires à ses pieds. Les regards figés des saints sculptés me mettent plus à l’aise que les canons des armes. Le 4X4, à leurs côtés, joue aussi un rôle dans ce contraste (moyen de transport inexistant à l’époque, la voiture a, à l’opposé de Venise, modifié le rythme de vie florentin).
Observant un instant cette scène qui m’aurait paru surréaliste il y a deux ans, je prends à la volée une photo. Un réflexe, je suppose, nourri par une forme de fascination. Puis vient à ma rencontre un second lieu, une place de marché accueillant artisans et touristes, et où font leur ronde, nonchalamment, deux policières fatiguées. Ces instants, perçus aujourd’hui comme anodins, sont devenus le quotidien des foules.
Néon Maria
Ce ne serait pas tout à fait mentir de dire que Florence regorge autant de Vierges à l’enfant que d’enseignes. Éléments épars, ils créent ce charme particulier produit par le contraste et l’opposition. Cohabitation du religieux et du commercial, il y a une satisfaction particulière à visiter Florence de nuit ; elle devient ville fourre-tout. Présentant un autre visage, cette facette est peut-être même plus colorée et riche que Florence ne l’est déjà de jour.
Au détour d’une ruelle, une petite sculpture en toc, élément kitsch et intemporel sous néon, attire mon regard. Essayant de composer avec l’héritage démesuré de cette ville, elle se veut rappel de l’art italien, pour mieux s’en démarquer.