La question du kiki

Un article d'Anouk Marilleau
Master I, Didactique visuelle – Haute école des arts du Rhin

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1/ Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, Rapport « Formation à l’égalité filles-garçons : faire des personnels enseignants et d’éducation les moteurs de l’apprentissage et de l’expérience de l’égalité » – 22 février 2017.

 

2/ Liv Strömquist, L'origine du monde, édition Rackham, 2006.

 

3/ Michel Cymes, illustration de Laure Monloubou, Quand ça va ! Quand ça va pas ? - Leur corps expliqué aux enfants (et aux parents !), éditions Clochette, 2017.
Voir l'argumentaire de la pétition La Zézette n'est pas un trou. Stop à la désinformation des petits !

 

4/ Matilda éducation

 

5/ Kit Les Parleuses de Fanny Prodhomme

« Lavez-vous les mains consciencieusement à l’eau chaude et au savon. Décontractez-vous et choisissez la position qui vous convient le mieux. »

À la maison à côté des W.C., il y a un petit meuble de rangement en bois que seules les filles de la famille ouvrent. Je me souviens m’installer sur les toilettes, en rabaissant la cuvette, pour regarder la notice des Tampax. C’était avant d’avoir mes règles, donc sûrement vers 10, 12 ans. Je lisais les instructions et observais les schémas... J’avais l’impression de regarder un porno. A cette époque, j’avais vaguement compris qu’il y avait un lien à faire entre le sexe et mon sexe, autrement dit : entre faire l’amour et les Tampax.

Il y a d’abord cette énigmatique vue en coupe de l’appareil féminin... Je me souviens bien de ce long conduit qui semble monter haut, haut, à l’intérieur du ventre. Je n’aurais jamais imaginé que ce schéma représentait mon anatomie à moi aussi. Pour moi, c’était un truc « de grandes », de femmes. Là encore je faisais un confus rapprochement dans ma tête entre cet appareil génital alambiqué et la sexualité des adultes, des parents.

Le sexe est l’endroit où bien des affaires se jouent. On y trouve dans le même coin les organes du plaisir et les organes de la grossesse. Une sacrée machinerie. Ovulation, rapport sexuel, pénétration, rencontre du spermatozoïde et de l’ovule, développement du foetus, etc. On connaît les grandes lignes.

C’est quoi la différence entre les garçons et les filles ? Les garçons ils ont un zizi et les filles n’en ont pas.

En juin 2016, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) publiait un rapport qui révèle qu’un quart des écoles élémentaires n’a pas consacré une seule action à l’éducation sexuelle durant l’année scolaire, sur les trois séances normalement obligatoires selon la loi de 2001 1 . Il faut savoir que ces séances d’éducation sexuelle reposent sur la bonne volonté des enseignants, et que ces derniers n’ont aucun support ou outil adapté, ni même un simple PDF à disposition.

Pourtant, un cours d’éducation sexuelle, ça ne s’invente pas ! Il y a un équilibre difficile à trouver entre la théorie et la pratique : sensibiliser à la fois aux enjeux et aux risques, mais en même temps parvenir à ouvrir le dialogue pour décomplexer les participants. Tabous et idées reçues ont la peau dure, et on le remarque notamment dans le rapport que les jeunes filles entretiennent avec leur corps et leur sexualité. Une fille de 14 ans sur 4 ne sait pas qu’elle a un clitoris 1 . La vulve, lieu du sexe où la pudeur se niche. Les préoccupations sont nombreuses : ce à quoi elle ressemble, ce qu’elle ressent, ce qu’elle sent, à quel âge, avec qui ? Avec ou sans poils, avec ou sans lèvres qui dépassent, plutôt grise, brune ou rose, lisse ou non.

J’ai vu passer des modèles pédagogiques : la plupart du temps ils sont en plastique lisse, brillant, rose, net et froid. Je me demande qui tire les ficelles de cette vaste mascarade, qui cherche à nous persuader qu’une vulve ressemble réellement à cela... (ou devrait y ressembler !)

Au XIXe siècle on trouve aussi des modèles gynécologiques réalisés par le docteur Auzoux, à l’intention des étudiants en médecine. Là encore : pas facile de se faire une idée, de se sentir concernée. Il y a d’abord cette disposition caractéristique en forme de Y, avec en haut les trompes et en bas le vagin. Sur les côtés se trouvent différentes petites pièces ovoïdes qui contiennent les étapes du développement de l’embryon, devenant fœtus, puis nourrisson. Le problème c’est que la partie extérieure du corps est complètement passée à la trappe : le vagin correspond simplement à un conduit, comme un trou béant, large et profond. Les lèvres ? Elles n’existent simplement pas. Elles ne sont pas figurées. Mettez une femme devant cet objet et elle vous demandera de quoi il s’agit.

Cela me rappelle l’histoire fameuse de la plaque de Pioneer 2 : surface en métal envoyée dans l’espace par la Nasa en 1972 à l’intention des extraterrestres pour leur montrer ce à quoi nous, les Hommes, ici sur la Terre, ressemblons. On y voit deux individus nus, mâle et femelle. Entre les jambes de madame, on ne trouve rien. Il y avait une fente initialement, qui a finalement été effacée.

Encore au mois de mars cette année, Michel Cymes publiait un livre aux éditions Clochette : Quand ça va, quand ça va pas. Le constat est le même qu’il y presque 40 ans : le zizi est décrit en détail (gland, prépuce, testicules, scrotum, urètre, érections, etc.). La zézette, quant à elle, je cite : « sert à faire pipi ». 3

On essaye (avec succès) de nous faire croire qu’il y a rien entre les jambes des filles. Mais il n’y a pas rien. Il y a des poils, il y a des parties en volume, qui ressortent. Il y a un organe : le clitoris, qui gonfle parfois, rougit, des lèvres qui dépassent, qui ont une épaisseur, une couleur... Non, non et non : le sexe féminin n’est pas qu’un vagin, qui serait la simple contreforme du pénis. Le sexe féminin a une vie propre, indépendante et autonome.

Les filles ont une minette, et les garçons n’en ont pas.

Heureusement, il y a des gens qui prennent conscience de l’impact positif d’une bonne éducation sexuelle, et qui s’activent pour chercher des solutions pour de mieux parler de leur sexe aux petites filles. 4

Fanny Prudhomme a réfléchi à cette question pour son projet de diplôme à l’ENSCI. Elle a imaginé un formidable petit kit pédagogique qui représente le sexe féminin (de l’intérieur et de l’extérieur) de manière neuve, fraîche et engagée. Selon elle, « Il faut créer une image que les gens vont retenir plus facilement en associant, comme je l’ai dit, la fonction et la représentation. » (dans une interview pour Rue89 en novembre 2017). Autrement dit, concentrer son attention davantage sur la fonction des différentes parties plutôt que générer des stéréotypes formels. L’enjeu est donc réellement pédagogique : il s’agit de faire comprendre, tout simplement, sans tabou et sans zones floues.

Pour ce faire, elle met en place plusieurs procédés didactiques : la manipulation, le toucher, et les analogies formelles/fonctionnelles. Comme elle le précise : « C’est plus facile qu’avec un livre ou un flyer. Pour dissiper la gêne et attirer l’attention, il faut de l’interaction, de la théâtralisation ».

Dans la mallette, on trouve par exemple : une corde d’escalade pour le périnée, un muscle très puissant et élastique, une mousse extensible pour le vagin, l’ovaire est un sac de billes, pour figurer les ovocytes déjà présents, et le clitoris, un simple gant en latex rempli de ouate, avec ses quatre pattes et la tête.

On est bien loin du modèle en plastique rose et lisse. Dans cette amulette qu’elle appelle Le kit les parleuses, les matériaux sont chaleureux et ont un pouvoir attractif : on se sent libres de les manipuler, on a envie de les palper, de les toucher, les appréhender, les utiliser. L’objet est en volume, ce qui permet de le voir sous tous les angles et (enfin !) de comprendre réellement comment les parties s’imbriquent et s’agencent entre elles.
Pour finir, cerise sur le gâteau, ce projet existe sous deux formes : le « produit clé en main » (cousu main et fabriqué en France, déjà monté et prêt à être utilisé), et un projet open source, muni d’un mode d’emploi, que l’on peut reproduire soi-même dans le monde entier avec peu de moyens (la plupart des parties sont faites à base d’objets manufacturés simples, et les autres sont cousues à la main). 5

Cette mallette ingénieuse est donc à remettre entre toutes les mains : enseignants, professionnels de santé (médecins en cabinet privé, maternités, maisons de naissance, centres de planning familial, PMI, hôpitaux), mais aussi pourquoi pas les associations et ONG. Le Kit les Parleuses est un projet qui favorise le dialogue et aide à mettre des mots simples et justes sur le minou, la fefesse, la zézette, le kiki, la vulve, la chatte bref... Ce qu’on a toutes du mal à nommer.