Ont été considérés comme miraculeux les événements et manifestations physiques dont l'origine était inexplicable. Invisibles à l’œil humain, ces exemples devaient donc en toute logique relever de quelques manipulations divines. Le corps dit féminin resta longtemps un tabou dont la représentation relevait de la pornographie ou de la pathologie. En combinant ces deux éléments, nous obtenons la gestation humaine. Dès le XV^e siècle ¹ , des hommes s'essayent à percer les mystères de l'utérus, puis au XVIII^e les planches d'anatomie et recueils ² de dessins réalisés à partir de corps disséqués se multiplient. Mais ces illustrations, aussi détaillées soient elles, sont évincées au XIX^e par les réalisations du docteur Louis Thomas Jérôme Auzoux.

Au détour de sa quête concernant l'anatomie équine, il réalise « une femme sur laquelle se reproduisent, au moyen de quatorze utérus de rechange, toutes les phases de la gestation. On y suit pas à pas le produit de la conception, les modifications que subit l'appareil génital féminin, depuis la fécondation jusqu'à la parturition [...] » ³ . Ce modèle en trois dimensions est manipulable et démontable, comme l’étaient au préalable les cires anatomiques, beaucoup plus fragiles ; le fœtus en papier mâché amovible permet d'observer la matrice adaptée à son développement selon le stade de la grossesse. Ces modèles, malgré la vulgarité des matériaux, restaient rares et coûteux. Ces réalisations minutieuses n'étaient pas à la portée de toutes les bourses. Aujourd'hui, tout professionnel de santé peut aisément trouver par le biais du web quantités de modèles anatomiques ⁴ . Descendants des modèles du Dr Auzoux, modèles en très haut relief permettant un accrochage sans renoncer à la manipulation fœtale, les modèles et possibilités ne semblent avoir aucune limite (si cette dernière existe, elle concernera l'acheteur).

Cependant, là où l'objet, représentation en 3D de la gestation, devient encore plus intéressant c'est hors circuit médical ou hospitalier. Car au hasard d'une promenade vous pouvez être amené à tomber sur ce type d'objet ⁵ . Pour un prix dérisoire, toute personne s'intéressant au sujet peut se procurer une figurine démontable d'un utérus gravide, avec coupe transversale, montrant le fœtus logé dans le bassin pelvien. En deux siècles, nous sommes passés d'un modèle peu courant, onéreux, réservé à une élite et peu observé (à l'échelle de la population) à un objet fabriqué à la chaîne et proposé au public dans de grandes enseignes. Comment interpréter cette évolution ?

Peut-on parler de démocratisation et de démystification de cette fonction ? Le genre humain, fasciné par la naissance aurait ainsi dépassé ses a priori pour plonger dans l'étude de ce qui a longtemps été le domaine secret des lignées maternelles et des matrones ? Sans doute. Mais est-ce une question de genre humain ou de genre ? L'esprit masculin et la société qu'il a engendrée auraient-ils souhaité ôter tout doute sur la nature potentiellement divine de la gestation pour la ramener à son humanité ? Cette objectivation relevant plus d'un jeu de poupées russes ramène ce qui était jusque là considéré comme un miracle du corps de la femme à une mécanique bien huilée qui peut se démonter et se remonter comme une horloge. Ne serait-ce pas un moyen d'apprivoiser ce sur quoi l'homme n'a aucune prise ? Ce raisonnement très binaire peut paraître dépassé au regard des études de genres actuelles, mais pourrait s'inscrire dans une réflexion sur le féminisme. S’il est important pour chaque personne capable de porter un enfant de voir ces modèles, il serait tout aussi important de modéliser la spermatogenèse qui apporte soit dit en passant, 50 % du capital génétique de l'enfant.