Le mort joyeux

Texte et Dessin de Nuria Valentina Martinez Silva
Licence 3, Didactique visuelle – Haute école des arts du Rhin

« Dans une terre grasse et pleine d'escargots
Je veux creuser moi-même une fosse profonde,
Où je puisse à loisir étaler mes vieux os
Et dormir dans l'oubli comme un requin dans l'onde,

Je hais les testaments et je hais les tombeaux ;
Plutôt que d'implorer une larme du monde,
Vivant, j'aimerais mieux inviter les corbeaux
A saigner tous les bouts de ma carcasse immonde.

Ô vers ! Noirs compagnons sans oreille et sans yeux,
Voyez venir à vous un mort libre et joyeux ;
Philosophes viveurs, fils de la pourriture,

À travers ma ruine allez donc sans remords,
Et dites-moi s'il est encore­ quelque torture
Pour ce vieux corps sans âme et mort parmi les morts ! »

Baudelaire, Le mort joyeux, extrait du reccueil Les Fleurs du mal, Paris, Poulet-Malassis et De Broise, 1ère éd., 1857

Telle une mouche dans une sucrerie, Valentina s’approche des vitraux les yeux grands ouverts. Le plâtre, comme la viande sèche, brillent derrière le verre contre lequel elle presse sa joue. Les tumeurs et les vertèbres sont délicieusement rangées ; elle y trouve un jardin de bêtes fantastiques, à deux têtes et six pieds, dragons, sirènes et cyclopes !
Valentina se balade de salle en salle, ne sachant plus où poser ses orbes enflammés. Mais au fond du musée un cavalier macabre l’attend les bras tendus, nu et exposé, chaque fibre de son être est à la disposition du spectateur.

« Une vue sublime ! » s’écrit-elle en accélérant ses pas.
L’écorché la regarde, puis d’une voix sèche soupire :
« Chère, de ma chair tu sembles porter une appréciation particulière. Cette joie morbide ferait de toi un merveilleux spécimen ! »
« Vous me flattez. », Valentina rougit.
« Approchez-vous donc. Enlevez votre manteau, ou encore, votre besace dermique. Il est temps de vous dévêtir jusqu’à la souche, et montrer aux foules vos tissus les plus nobles ! »
« Je voudrais bien vous tenir compagnie, mais malgré votre charme, chair monsieur, je ne souhaite pas encore me séparer de mon cuir ! Le temps viendra, je vous le jure, il ne faut qu’attendre ! »
L’homme musclé l’observa quelques instants puis d’un ton indigné il gronda :
« Vous pensez donc que vous êtes digne de refuser mes invitations ? Partez donc ! Allez souiller votre corps entre ces créatures profanes ! Vous n’allez point transcender vers ma noble stature ! Dans quelques années seulement les vers creuseront jusqu’à vos os. Je serai encore là et vous ne serez nulle part ! » Puis, le chevalier reprend sa posture immobile, et ne dit plus aucun mot.
« Heureux celui qui nourrit les insectes, Monsieur ! Au revoir ! »

Ce fut un beau jour quand elle accomplit un vieux rêve d’enfance.