« Maman, comment fait-on les bébés ? »

Un article de Nathalie Pruvost
Master II, Sciences et cultures du visuel – université Lille 3

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1/ D’après l’étiquette qui se trouve sur la poche supérieure, le fœtus est à son septième mois.

 

2/ Pôle Ressources du Patrimoine Hospitalier et Médical du Nord

 

3/ Jouet éducatif, poupée Barbie, Maman a un bébé dans son Ventre, consulté le 20 février 2019.

 

4/ Ysabelle Silly, La Barbie enceinte de Mattel crée l'indignation chez les parents, Parents, 9 janvier 2018, consulté en ligne le 20 février 2019.

 

Telle est la question inévitable que posent les enfants à leurs parents et que ces derniers appréhendent. Réponse un peu vintage : « Les petits garçons naissent dans les choux et les petites filles dans les roses évidemment ».

Alors que les plus jeunes se sont toujours interrogés sur l’énigme de la vie, le docteur Louis Thomas Jérôme Auzoux (1797-1880) s’est approprié le sujet en concevant un merveilleux outil pédagogique et manipulable en papier mâché. L’objet en question est didactique, il représente un fœtus arrivé à son septième mois de gestation 1. Destiné à l’apprentissage de la médecine, notamment dans le milieu hospitalier et celui des sages femmes, ce modèle anatomique garde toutefois un aspect esthétique ; il démocratise ainsi l’accès à la science 2. L’observateur peut manipuler, désassembler, rassembler et articuler les éléments qui constituent l’objet afin d’observer le fonctionnement d’un véritable fœtus.
Le mode d’emploi est simple, il suffit à l’utilisateur d’ouvrir la poche supérieure et de découvrir un fœtus plus ou moins proche d’un modèle naturel, mais fortement réduit à une dimension de 30cm. Bien qu’il paraisse assez réaliste, le fœtus est plutôt disproportionné : ses oreilles sont gigantesques et ses bras semblent plus longs que ses jambes. Il est attaché à un cordon ombilical doté de couleurs très voyantes (rouge et bleue). Celles-ci ne sont pas naturelles, mais évoquent de manière didactique la circulation du sang. La boîte renfermant le fœtus représente le ventre de la mère. Lui aussi est marqué par des veines bleuâtres, rendant ainsi la peau, pleine de vergetures, plus naturaliste.

Comme pourrait l’être un fœtus véritable, le petit être est recroquevillé sur lui-même. Sa peau est rose, mais pas homogène. En effet, le docteur Auzoux semble avoir laissé quelques tâches rougeâtres pour représenter des traces de sang que peut présenter un nouveau-né.
Cependant, la création du docteur Auzoux avait un certain coût, et n’était en aucun cas destinée aux enfants. Il faudra attendre plus d’un siècle pour qu’un objet du même ordre ait une place dans leur coffre à jouets. En effet, durant les années 1990, la société Mattel met en rayon une poupée de 29 cm, la toute première Barbie enceinte.
Avant cette surprenante innovation, Barbie pouvait être pilote d’avion, professeure des écoles ou bien infirmière, posséder une voiture, une maison et un Ken comme accessoires dans sa vie. Dès lors, pourquoi ne pas lui donner accès aux joies et aux douleurs de la maternité ?
La poupée en plastique est équipée d’un ventre amovible renfermant un fœtus sur le point de naître. Ce dernier n’est pas réaliste, les dimensions sont hors normes (un aspect hérité de sa mère sans doute) et l’inexistence du cordon ombilical peut déstabiliser plus d’un gynécologue.
Contrairement au fœtus d’Auzoux, le jouet en plastique est dans une étonnante position. Tous ses membres tombent vers le bas, y compris ses jambes (probablement un souci gravitationnel). Il occupe une place importante en étant situé sous la poitrine de sa mère. On pourrait croire que celle-ci vit une torture, mais non : elle est parfaitement maquillée et garde le sourire. Et puis, de toute évidence, après l’accouchement, elle retrouvera un ventre impeccablement plat, sans cicatrice ni vergetures bien sûre.
Malgré ces anomalies, le jouet est éducatif. L’enfant développe créativité et curiosité. Cependant nous pouvons nous questionner sur la fiabilité de l’apprentissage. En effet, l’enfant manipule sa poupée et s’instruit en jouant. Mais apprend-il vraiment la vie ? Des questions fuseront : « Mais comment le bébé est-il rentré dans le ventre de maman, par où sort-il ? Suffit-il d’ouvrir le ventre comme un couvercle d’une boîte à chaussure ? »

En 2018, l’entreprise Mattel met sur le marché une nouvelle poupée enceinte d’un bébé d’environ 6cm en vinyle 3. Les traits du jouet sont encore plus grossiers, ses cheveux bien lisses et ses yeux étonnamment maquillés. Ce nouveau jouet est destiné aux enfants en bas âge, ce qui n’enchante pas particulièrement les parents qui redoutent de contribuer ainsi à la précocité de leurs bambins 4.
Pour ce qui regarde l’exploration anatomique, Barbie enceinte n’est pas vraiment l’équivalent du dispositif d’Auzoux. Mais, le public n’est pas le même, aussi les visées didactiques sont-elles tout autres : d’un côté nous avons un objet destiné à l’apprentissage médical, de l’autre à un dispositif contemporain destiné à l’apprentissage environnemental des jeunes enfants. Et pourtant la poupée prolonge en partie les solutions mises au point au XIXe siècle, à travers un avatar qui en renouvelle les principes didactiques : visualiser et manipuler le développement du fœtus arrivé à son terme.