Vénus ou Barbie ?

Un article d'Emma Berthaud
Master I, Didactique visuelle – Haute école des arts du Rhin

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La Vénus s’étend avec grâce sur le tissu. Ses longs cheveux, sagement tressés, glissent le long de sa nuque. Une vraie tête à coiffer, qui évoque rapidement au spectateur contemporain une sorte de poupée Barbie à taille réelle.
À un détail près : nous sommes au conservatoire d’anatomie de Montpellier, dans les collections de cire anatomiques, et la demoiselle a les tripes à l’air.
Le but de ce modèle, façonné à partir de cire, est d’illustrer en volume et à échelle 1 l’anatomie humaine. Il vise à dévoiler l’intimité d’un corps de femme « caucasienne », suivant la terminologie raciologique du XIXe siècle, sans toutefois passer par la case dissection. Bien que produit en petite série, il s’inscrit dans la tradition des Vénus anatomiques.
Allongée sur le dos, la Vénus offre au regard du spectateur toute son anatomie dans la transparence la plus totale, mais quelques détails semblent incongrus.

On remarque tout d’abord que même à l’agonie, la jeune femme a eu l’élégance de serrer les cuisses, masquant sa vulve. Là où le sexe de l’homme est représenté sans détour, celui de la femme est tout bonnement effacé. La même absence de sexe qui se retrouve chez Barbie, lisse comme un ange.
Une absence de sexe, mais pas de sexualisation. Ses seins, sur la partie amovible de son buste, sont fermes et fièrement dressés : excités. Imputrescible, la Vénus semble s’être évaporée dans un dernier soupir de plaisir.
Sur certaines versions exposées, le cou de la Vénus est paré d’un charmant collier de nacre. Doit-on en déduire que le port du rang de perles est naturel — voire biologique — chez la femme ? À bien observer, rien de semblable sur ses homologues masculins.

Il s’agit alors de questionner le parti pris de cette représentation anatomique fortement érotisée. L’objet est-il de transmettre avec fidélité l’anatomie d’un corps, ou de mettre en scène celui-ci dans le but d’associer la beauté et l’érotisme à la nature féminine ? On pourrait reconnaître à l’artiste la volonté d’avoir voulu en sublimer la beauté. Mais dans cette démarche, il installe une représentation à travers laquelle le corps féminin se subordonne au bon plaisir du spectateur, de l’artiste, de l’homme. Une femme morte, soit, mais une femme agréable à regarder. Et il installe au passage, à l’instar de ce qui est en jeu avec Barbie, des standards de beauté déconnectés de la réalité d’un corps dans toutes ses dimensions : un corps organique, imparfait, humain.

Un dernier détail : la Vénus du conservatoire (et toutes ses autres versions), si elle est entièrement démontée, dévoile un dernier secret : elle est enceinte. Le corps de la femme est ainsi ramené à ses deux « vocations » inextricablement liées : plaire, dans le but de procréer.
La Barbie elle aussi, en dehors de son corps à la fois ultra-sexualisé et désincarné, a toute la panoplie d’une procréatrice accomplie : un mari, une maison, des enfants. Elle a tout de même le chic de conserver l’allure, malgré ses postulées multiples grossesses, d’un top model. Un top modèle, vous dites ?